Le phénomène de la migration

Quitter son pays, abandonner ses racines, pourquoi? De tous temps et en tous lieux, les gens ont dû partir de chez eux, le coeur en berne, pour assurer leur subsistance et celle de leurs proches. La migration a toujours existé. Mais aujourd'hui, dans certaines régions, et en particulier dans le bassin du Sénégal, un timide mouvement inverse s'amorce: celui du retour au pays.


Retour à la maison après la réunion à Baïdiam en Mauritanie


A Taschott en Mauritanie

 

A l'origine, l'histoire des Soninké
Les Soninké, l'une des ethnies principales de la région, sont à l'origine du phénomène migratoire. Par le passé, ce peuple a tiré ses richesses de la guerre, du commerce et de l'esclavage. Au début du 20° siècle, l'émancipation

des captifs a appauvri les familles nobles qui se sont repliées sur l'agriculture et la recherche d'autres ressources par l'émigration.

 

Migrer pour être socialement reconnu (jusqu'au début des années 1970)
Cette émigration, d'abord saisonnière jusque dans les années 70, a pour destination le bassin arachidier sénégalais. Elle permet aux cadets d'épargner pour leur propre compte et de contribuer aux dépenses de la famille, en compensation de leur absence aux champs. En se généralisant, l'émigration prend une valeur initiatique: on est un homme quand on a voyagé!
Dès les années 40, des Sénégalais sont partis «tenter l'aventure» à l'extérieur. Marins ou soldats, leurs
démarches sont solitaires et souvent coupés de leur milieu d'origine. L'émigration lointaine des habitants de la zone a véritablement commencé dans les années 60. Il s'agissait au départ d'une migration de célibataires, de courte durée. Même avec un salaire très faible en France, les sommes envoyées au village ou distribuées lors du retour augmentent énormément les achats de biens de consommation, renforçant le besoin monétaire, donc la nécessité de la migration.
 
Migrer pour pallier les effets de la sécheresse. D'une migration tournante vers un regroupement familial à l'étranger (années 1970 et 1980)
La sécheresse (début des années 70 et début des années 80) installe durablement la migration. De son côté, l'industrie française réclame des bras. Les mandats postaux «venus de France» ne servent plus uniquement à payer l'impôt et la maison en dur, ils deviennent indispensables pour acheter les céréales que l'on ne produit plus au village. Les jeunes partent en grand nombre, diminuant d'autant la force de travail sur place, donc la production locale. Les structures sociales sont bouleversées.
La construction en France de foyers de travailleurs émigrés leur permet une «moins mauvaise qualité» de vie et autorise également le regroupement des ressortissants de mêmes villages. Ils reconstituent des «villages bis» où se recréent les relations sociales traditionnelles. Avant son retour, l'émigré fait venir un frère ou un neveu pour

le remplacer. Cette émigration tournante assure à la famille au village des ressources régulières et aux cadets l'épargne nécessaire pour fonder une famille.
En 1974, l'obligation de la carte de séjour pour travailler en France bouleverse ces schémas: les arrivées deviennent aussi difficiles que rares. Les migrants présents doivent rester pour assurer un revenu à leur famille. Sans couper les ponts avec «là-bas» et pour ne pas vivre trop mal leur situation, ces hommes doivent aussi se construire une vie en Europe. Certains, plus engagés ou motivés, vont tirer profit de l'alphabétisation, des formations et des discussions avec des étudiants ou des militants syndicaux. D'autres vont progressivement faire venir une partie de leur famille dans le cadre du regroupement familial.


 

Migrer pour se construire un avenir nouveau sans perspective de retour (année 1990)
Une seconde génération va s'enraciner en France, composée de jeunes qui, s'ils ne renient pas leurs origines, n'envisagent pas de retourner au pays natal de leurs parents. A côté des associations de développement, d'autres structures sont créées pour favoriser les échanges avec «là-bas» et répondre aux préoccupations des jeunes et des femmes «ici» (logement, éducation des enfants, culture, sport...).

Malgré le chômage qui sévit en France dans les années 80 et 90, les jeunes Africains de «là-bas» continuent à rêver à l'émigration, mais sans projet de retour au pays. S'ils parviennent à passer les frontières, ils veulent plutôt s'installer définitivement en France et rejoignent les associations des jeunes de la deuxième génération. Ils privilégient leur famille lors des transferts d'argent.

 

De la mise en place des caisses de solidarité à la création des associations villageoises de développement
Avec la migration collective, il fallait pouvoir régler les problèmes de la communauté en France, par exemple les rapatriements des hommes décédés loin du village ou le soutien aux familles dans le besoin. Chacun cotisait alors à des caisses de solidarité.
Lorsque la migration s'est installée dans la durée, les migrants ont été sollicités pour des investissements plus lourds dans les domaines de l'école, de la santé et de la religion.
En 1981, la loi sur les associations permet la réunion des étrangers (loi 1901). A l'initiative d'une poignée de migrants souvent formés par la lutte syndicale et le GRDR (voir encadré), de nombreuses associations de ressortissants sont créées qui viennent supplanter les caisses de solidarité dirigées par la hiérarchie traditionnelle. Elles vont progressivement se donner un rôle dans le développement de leur zone d'origine.

 
Au début des années 1980, le retour des premiers leaders paysans
Dès le début des années 80, certains leaders envisagent de rentrer chez eux pour s'engager dans des projets de développement élaborés avec les «exilés» et les villageois. Certains projets pilotes se passent au Mali, organisés par des migrants de différents pays africains. Ils mettent en place des périmètres irrigués. Si les résultats en termes de production sont un peu décevants, certains de ces hommes lancent une véritable dynamique dans la région en créant l'Union de Coopératives (URCAK).
Parallèlement, à Paris, le GRDR continue à animer des formations dans les foyers. Une dizaine de personnes y

préparent longuement des projets intervillageois. Ils travaillent sur leur rôle futur et recherchent avec le GRDR les financements nécessaires. Et ils repartent, en Mauritanie, au Sénégal ou au Mali pour créer des projets dit «intégrés» regroupant plusieurs villages. Ils tentent d'apporter des alternatives à la migration. Ils se concentrent sur l'accès à l'eau potable, la lutte contre l'analphabétisme, la production maraîchère ou bien encore l'accès aux outils de culture attelée, pompes à eau, semences, engrais, etc.
 

Du projet villageois vers des projets régionaux, de l'association villageoise vers un réseau de communication et de réflexion (années 1990)
Se connaissant depuis la France, quelques leaders se retrouvent sur le terrain et entament une réflexion transversale. Ils participent au développement d'actions régionales comme un centre de formation à Bakel ou la mise en place de caisses locales d'épargne et de crédit. Au cours de voyages en France, ils tentent d'associer les migrants à leurs actions.

 
Dans le cadre de la décentralisation les leaders associatifs prennent leurs responsabilités au niveau communal (années 2000)
Les leaders jouent également un rôle moteur dans la décentralisation politique, mettant leur expérience au service de leur collectivité de base. Souvent élus, ils montent des programmes de développement local prônant la participation de tous. Dans certains cas au Mali, des communes prolongent le travail des projets intégrés intervillageois.

 
Quelques chiffres sur la migration
La région des trois frontières (Cercle de Kayes au Mali, région du Guidimakha en Mauritanie et le département de Bakel au Sénégal):
Le nombre d'habitants de cette zone: 745 800 Le nombre de migrants: 50'000 (6.7% de l'ensemble de la population soit plus que 20% de la population active); 80% d'entre eux habitent en région parisienne. Montreuil, banlieue de Paris, est la deuxième ville soninké après Kayes.)
Les fonds envoyés par les migrants dans leurs familles sont très importants
En 1996 une famille ayant des migrants en France a reçu 1'700'000 FCFA (4'000.- FS) par an de ces derniers, une somme bien supérieure à toutes celles générées par les activités locales. La moitié de ces fonds a été envoyée sous forme de bons alimentaires, l'autre moitié sans affectation précise. L'aide des migrants couvre env. 20% des besoins alimentaires de cette région.
La migration renforce le développement d'une société à deux vitesses
La migration a une influence très importante sur les habitudes alimentaires. De nouveaux aliments tels le pain, le concentré de tomates, le nescafé, le «cube maggi», la mayonnaise se trouvent dans toutes les boutiques villageoises. La consommation du sucre augmente régulièrement et la brisure de riz asiatique remplace les céréales locales. Sans argent ces denrées ne sont pas accessibles, mais dans les villages il est difficile de gagner de l'argent. Le clivage entre les nouveaux riches et les paysans qui sont restés sur place se manifeste visiblement.
Le GRDR, une ONG qui travaille depuis bientôt 30 ans avec les migrants à Paris et en Afrique
Le GRDR (Groupe de Recherche et de Réalisation pour le développement rural dans le Tiers Monde) est une ONG française intervenant depuis plus de 30 ans en appui auprès des migrants maliens, mauritaniens ou sénégalais soucieux de jouer un rôle positif dans un développement durable de leur région d'origine. L'objectif est double, d'une part permettre ce développement et d'autre part apporter des réponses aux jeunes pour qu'ils partent moins en migration. L'action du GRDR se situe «ici et là bas".